lundi 4 août 2025

Le Violon qui ne chantait plus - Godefroy Boutard


 

Le Violon qui ne chantait plus  

Un violon gisait, abandonné, par terre, 
Poussiéreux, lamentable, en son coin solitaire. 
Un archet mutilé près de lui reposait, 
Et quiconque, en ces lieux, d’aventure passait, 
Pour l’instrument déchu n’avait qu’indifférence. 
Rares sont les passants qu’arrête la souffrance !... 

Quelques-uns, par hasard, d’un geste curieux, 
Prenaient le violon triste et silencieux, 
Et promenant l’archet sur les cordes sans vie, 
N’en tiraient que des sons d’une amère ironie. 
Ils rejetaient alors, railleurs et dédaigneux, 
Le grotesque chanteur dans son coin poussiéreux, 
Et leur geste brutal, aux vieilles meurtrissures 
Ajoutait chaque fois de nouvelles blessures... 

Un passant vit un jour le pauvre délaissé. 
Ce passant délicat, vers lui, s’étant baissé, 
Saisit le violon et d’une main légère, 
En bannit doucement la honteuse poussière; 
Aux cordes sans vigueur il rendit leur vertu, 
A l’inutile archet son usage perdu; 
Sa main, courant partout, active, et des plus sûres, 
Cherchait, trouvait, pansait chacune des blessures 

Et des cordes enfin il rétablit l’accord... 

Le violon gémit!.. C’est donc qu’il vit encor !.. 
Ses forces, en effet, bientôt lui sont rendues. 
Voyez l’archet courir, bondir ou s’arrêter : 
Entendez-vous, tremblant, le violon chanter?... 
Sous l’azur du ciel bleu sa voix harmonieuse 
S’élève, tour à tour, grave, tendre ou rieuse. 
La vie est reconquise et la divine voix 
Qui nous berce aujourd’hui, c’est celle d’autrefois!... 

O voix du violon, abandonné par terre, 
Poussiéreux, lamentable, en ton coin solitaire... 

Il est aussi parfois des cœurs silencieux 
Dont le chant ne sait plus s’élever jusqu’aux cieux. 
De pauvres cœurs meurtris par la rude souffrance, 
Que frôle seulement la froide indifférence... 
Quand nous les croiserons, au hasard du chemin, 
De leur saignante plaie approchons notre main. 

Ainsi qu’au violon abandonné par terre, 
Poussiéreux, lamentable, en son coin solitaire, 
Qui demeurait muet et que l’on croyait mort, 
Nous leur rendrons la vie : ils chanteront encor !... 

 

Godefroy Boutard

L'Émulation française, 1er juillet 1928

 


 

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