Sais-tu que cette harpe, éveillée à ma voix, Sirène, sur les flots, venait chanter parfois; Que triste elle espérait, lorsque le soir arrive, Voir celui qu’elle aimait, errer près de la rive ?
Mais elle aimait en vain; les larmes de ses yeux Pendant toute la nuit mouillaient ses blonds cheveux. Le ciel enfin s’émut de sa douleur profonde. En harpe il transformait la sirène de l’onde.
Sur ses lèvres errait son sourire charmant — Son cœur battait encore — et gracieusement Sa chevelure d’or sur ses bras épandue, En ces cordes bientôt se trouvait confondue.
Cette harpe, dit-on, mêlait depuis ce jour, Aux chants de la douleur, le langage d’amour. C’est par toi qu’elle apprit à parler de tendresse Quand je suis avec toi — quand je pars, de tristesse.
Un violon gisait, abandonné, par terre, Poussiéreux, lamentable, en son coin solitaire. Un archet mutilé près de lui reposait, Et quiconque, en ces lieux, d’aventure passait, Pour l’instrument déchu n’avait qu’indifférence. Rares sont les passants qu’arrête la souffrance !...
Quelques-uns, par hasard, d’un geste curieux, Prenaient le violon triste et silencieux, Et promenant l’archet sur les cordes sans vie, N’en tiraient que des sons d’une amère ironie. Ils rejetaient alors, railleurs et dédaigneux, Le grotesque chanteur dans son coin poussiéreux, Et leur geste brutal, aux vieilles meurtrissures Ajoutait chaque fois de nouvelles blessures...
Un passant vit un jour le pauvre délaissé. Ce passant délicat, vers lui, s’étant baissé, Saisit le violon et d’une main légère, En bannit doucement la honteuse poussière; Aux cordes sans vigueur il rendit leur vertu, A l’inutile archet son usage perdu; Sa main, courant partout, active, et des plus sûres, Cherchait, trouvait, pansait chacune des blessures
Et des cordes enfin il rétablit l’accord...
Le violon gémit!.. C’est donc qu’il vit encor !.. Ses forces, en effet, bientôt lui sont rendues. Voyez l’archet courir, bondir ou s’arrêter : Entendez-vous, tremblant, le violon chanter?... Sous l’azur du ciel bleu sa voix harmonieuse S’élève, tour à tour, grave, tendre ou rieuse. La vie est reconquise et la divine voix Qui nous berce aujourd’hui, c’est celle d’autrefois!...
O voix du violon, abandonné par terre, Poussiéreux, lamentable, en ton coin solitaire...
Il est aussi parfois des cœurs silencieux Dont le chant ne sait plus s’élever jusqu’aux cieux. De pauvres cœurs meurtris par la rude souffrance, Que frôle seulement la froide indifférence... Quand nous les croiserons, au hasard du chemin, De leur saignante plaie approchons notre main.
Ainsi qu’au violon abandonné par terre, Poussiéreux, lamentable, en ton coin solitaire, Qui demeurait muet et que l’on croyait mort, Nous leur rendrons la vie : ils chanteront encor !...