A UNE POÉTESSE
Une petite chambre à l’horizon borné.
Sur ta table, un livret de comptes écorné.
De la laine, des bas attendant les reprises :
Ta vie humble, sans bruits, sans désirs, sans surprises.
La soupe qui mijote au rebord du fourneau.
Sur ta fenêtre, un chat guettant un étourneau.
Un robinet d’évier qui goutte à goutte coule.
Dans le jardin, l’appel déchirant d’une poule.
Silence. Lentement, ruisseau presque tari,
Le temps passe… Bientôt reviendra ton mari.
Si las qu'il ne voit pas les soins qu’on lui prodigue.
Le sommeil entre vous va construire sa digue.
Pourtant ton âme habite un lumineux palais.
Elle chante, oubliant marmites et balais,
Et quittant le travail d’aiguille où tu t’escrimes,
Ta main, fébrilement, couvre un papier de rimes.
Sombre tissu, doublé d’un splendide revers,
Tes jours sont réchauffés par la flamme des vers.
La poésie en toi coule comme une source.
C’est ton trésor caché, ton unique ressource.
Car tu reçus de Dieu le merveilleux pouvoir
De subir les laideurs du monde sans les voir,
De faire ta lessive et d’éplucher les fèves
Tout en restant princesse au pays de tes rêves.
L'Émulation française, 1er novembre 1928 |
Renée Humbert-Gley (1913-1983) sur Geneanet